Le refus éditorial
Voilà un bon moment qu'occupée par mes romans et autres nouvelles, je n'avais plus posté de billet ici. Il est temps de réparer cela avec ce qui pourrait plus ou moins passer pour un mot d'humeur, mais qui se veut surtout une réflexion sur le sujet. Sujet dicté par mon expérience du moment.
Je veux parler de quelque chose qui nous concerne tous, nous, auteurs rêvant de publication à compte d'éditeur: le refus éditorial.
Vous qui écrivez, qui voulez la reconnaissance que n'apporte pas l'autopublication, qui refusez de payer des publications à comptes d'auteur ou de permettre à de pseudo-maisons d'édition de faire des bénéfices sur votre dos, vous qui aspirez à une vraie collaboration avec un éditeur passionné qui saura améliorer votre ouvrage et le placer à la vente dans de bonnes conditions, vous qui ne voulez pas avoir à réaliser vous-même votre couverture ou hériter d'un dessin douteux mais pas cher... vous savez de quoi je parle.
Parce que nous passons tous par là. Ne nous leurrons pas: l'envoi à la maison d'édition rêvée débouchant sur un accord immédiat parce que votre manuscrit est génial tient de l'utopie (la qualité du manuscrit en question n'étant pas forcément en cause).
En général, au bout de longs jours à imprimer, perforer, relier, poster et de longs mois à attendre, vous en serez probablement à vingt manuscrits envoyés et dix refus reçus. Ou à peu de chose près. Malheureusement, la différence de nombre entre les deux ne tenant pas aux réponses positives, mais plutôt aux absences de réponse.
Nous passerons bien sûr sur le cas des réponses positives, ça existe, c'est la joie, le délire, le tout. Parfois le début d'une merveilleuse aventure, parfois plutôt la douche froide, mais cela est un autre sujet.
Quelle forme prend un refus?
Si vous avez de la chance, beaucoup, beaucoup de chance, que le comité de lecture n'avait rien d'autre à faire à ce moment-là, que la maison vient de se créer et reçoit encore peu de manuscrits, ou que votre manuscrit plaît assez pour que l'éditeur en espère quelque chose (et qu'il veuille bien s'en donner le mal sans se dire que, même si celui-là n'est pas mal, il en trouvera bien d'autres qui lui iront mieux), vous recevrez un refus argumenté.
Pour ma part, j'avoue n'avoir reçu de réponse argumentée que trois ou quatre fois, dont une seule pour laquelle ce n'était pas une explication brève mais toute une page.
Pour la réponse négative qu'il faut s'attendre à recevoir, c'est ça:
«Madame, nous vous remercions de l'intérêt que vous nous portez. Nous avons prêté toute notre attention à votre projet, XXXXXX. Malheureusement, en raison du nombre de manuscrits reçus, nous devons faire des choix difficiles. Malgré toutes ses qualités, votre manuscrit ne rentre pas dans le cadre de nos publications actuelles.»
Encore ceux-là sont-ils donnent une vague justification (on a trop de propositions, on ne peut pas prendre tout le monde. D'accord, évidemment, c'est même toujours le cas, inutile de le préciser. Mais, a-t-on envie de demander, pourquoi pas le mien plutôt qu'un autre, s'il a tant de qualités?).
En général, c'est même plus laconique, du genre:
«Après lecture de votre manuscrit XXXXXX, nous sommes au regret de vous informer que nous ne le retenons pas pour publication.»
ou ça:
«Malheureusement, il ne nous a pas paru convenir à notre ligne éditoriale. Nous regrettons donc de ne pouvoir en envisager la publication.»
Et à cette dernière réponse, vous vous dîtes: voilà l'explication, mon roman est trop original, il ne rentre pas dans la ligne éditoriale.
En réalité, c'est la réponse type la plus courante, l'excuse de la ligne éditoriale qui veut tout et rien dire. Pour l'auteur qui veut croire en son livre, cela ne le décourage pas quant aux qualités et il se dit que si l'éditeur avait publié dans le genre, il aurait pris son manuscrit. Mais si on y réfléchit, que signifie «ligne éditoriale»? Pas grand chose si ce n'est «ce n'est pas ce que l'on publie habituellement». Mais en quoi n'est-ce pas ce que l'éditeur publie actuellement? En quoi votre manuscrit diffère-t-il de la fameuse ligne éditoriale? Mystère.
Est-ce le genre pas assez défini, l'intrigue, le style, ou le fait que vous être un écrivain inconnu de province? Finalement, ça peut être n'importe quoi puisque rien sur le site de l'éditeur (que vous avez probablement consulté mille fois pour vous assurer que votre manuscrit pouvait convenir, ce qui vous semblait le cas en toute bonne foi) ne la définit clairement.
En réalité, il faut prendre ce refus pour ce qu'il est: un refus. Tout simplement. Sans autre explication. Un refus type, formulé poliment parce que les éditeurs sont quand même des commerciaux et qu'il n'est pas dans leur intérêt d'envoyer promener des gens qui sont aussi des lecteurs et donc des acheteurs.
Ne vous désespérez pas de ne rentrer dans aucune «ligne éditoriale», c'est juste une façon de parler et de vous dire qu'on ne veut pas de votre manuscrit.
Frustration et incompréhension
Si vous êtes auteur et que vous avez déjà été confronté des dizaines de fois à ce genre de réponse, vous en connaissez l'effet: c'est très frustrant.
Frustrant, parce que l'on ne comprend pas, frustrant parce que l'on songe que si on nous disait en quoi ça ne va pas, on pourrait le modifier sans problème, frustrant parce qu'on ne sait pas si tout est bon à jeter ou s'il suffirait tout simplement de changer un petit rien, un rythme, la fin, la forme des dialogues, ou que sais-je encore.
Frustrant parce qu'on a l'impression de perdre son temps, parce qu'on ignore s'il vaut mieux écrire tout autre chose ou reprendre le manuscrit qui serait prometteur (parce que, justement, ceux qui pourraient nous le dire ne précisent pas s'il est prometteur ou non).
Alors, voilà, on se retrouve avec tous ces refus, les larmes aux yeux parfois, s'il s'agit d'un manuscrit qui nous tenait à cœur, sans comprendre, sans savoir, tout seul face à l'échec.
Avec l'impression aussi de ne pas compter, d'être la dernière roue de la charrette du monde du livre (ce que confirment les ridicules droits d'auteur une fois publié), nous qui passons des mois voire des années à suer, à souffrir parfois sur nos feuilles blanches. Nous qui sommes les créateurs, nous nous retrouvons en place de quémandeurs.
Combien de potentiels excellents écrivains a-t-on dégoûtés de la sorte? Combien en a-t-on enterrés alors qu'il aurait suffi de les orienter pour avoir le nouveau succès de l'année?
Pourtant, il ne tiendrait qu'aux maisons d'édition que cela change, que les talents français se révèlent au lieu de se laisser engloutir par des succès étrangers venus de pays où l'édition fonctionne différemment (plus audacieusement?). Alors, oui, je sais, elles n'ont pas le temps, elles sont débordées par les manuscrits, dont beaucoup de mauvais, et ne peuvent répondre à tout le monde de façon argumentée. Ça prend du temps, et le temps, c'est de l'argent, l'argent est le nerf de la guerre et indispensable pour un entreprise. Je comprends bien. Mais serait-ce vraiment du temps perdu?
Si les premières maisons d'édition auxquelles l'auteur envoyait son manuscrit répondaient de façon construite, alors l'auteur en question pourrait reprendre son manuscrit, le travailler, l'améliorer, voire le jeter et recommencer au lieu d'en inonder au hasard tous les éditeurs trouvés sur le net parce qu'il ignore la raison du refus. Cela lui coûterait moins cher à lui aussi. Donc refus argumenté=moins de manuscrits.
Et puis, pourvu que cela soit bien organisé, cela ne prendrait plus de temps et prouverait que les manuscrits sont lus, ce dont l'auteur peut parfois légitimement douter (notamment - je parle d'expérience - quand il envoie un manuscrit à une maison qui en reçoit des centaines par jour, et que, envoi et réception compris, il a la réponse négative en une semaine et cela en période de Noël. Gros doute sur le temps qui a pu lui être accordé). Il suffirait d'avoir plusieurs réponses-types. Ce ne serait pas complètement personnalisé, mais cela donnerait une indication à l'auteur.
Propositions d'exemples de réponses
Ainsi, il existe quand même de grandes raisons qui font qu'on manuscrit est refusé. J'en propose quelques-unes. Bien sûr, je ne suis pas dans le milieu de l'édition et sans doute d'autres m'échappent-elles.
- style/qualité d'écriture à retravailler
- structure de l'histoire/incohérences
...
Mais aussi, des éléments indépendants de l'auteur qui l'autorisent à tenter sa chance ailleurs:
- ligne éditoriale (ça reste valable si, par exemple, un auteur envoie un romance historique à une maison de SF)
- nous avons déjà trop d'histoires proches
- le manuscrit est très bon, mais actuellement, nous en avons reçu de meilleurs et nous nous limitons à tant par an
- nous cherchons des fins heureuses/des ambiances plus sombres, etc.
- nous donnons préférence aux auteurs maison (c'est parfois vrai, et cela aurait le mérite d'être honnête)
...
Voilà tous des arguments qui pourraient très bien être tout prêts en lettre type et envoyés en fonction du manuscrit. Ce ne serait pas un bien gros travail en plus. Et surtout, à l'heure d'internet où il suffit de demander une adresse électronique, cela ne coûterait rien financièrement et pas plus de temps que de coller un timbre et d'écrire l'adresse sur une enveloppe pour envoyer une réponse type négative tout à fait inutile.
Amis lecteurs, si vous avez d'autres arguments possibles en tête, n'hésitez pas à les proposer. Qui sait, des éditeurs pourraient passer par là et s'en inspirer ;).
Petit éclaircissement après diverses discussions sur le sujet
j'ai peur de n'avoir pas été très claire dans ce billet, je vais donc essayer de l'être davantage.
Tout d'abord, loin de moi l'idée que l'éditeur doive relever les erreurs de l'auteur, le guider, essayer de le faire progresser juste par grandeur d'âme... Nous sommes bien d'accord, il a autre chose à faire.
Non, il ne s'agit pas de pointer les défauts du texte mais d'expliquer (très succinctement) pourquoi il ne le prend pas. Raison qui peut être toute personnelle d'ailleurs (s'il n'a pas aimé, par exemple, c'est clair. Il n'y a pas de raison objective, il n'aime pas, c'est tout, c'est son droit. Et il est logique qu'il ne publie pas quelque chose qu'il n'aime pas).
Je vais illustrer par un exemple, c'est encore le plus simple.
Il y a quelque temps, j'avais envoyé un conte à une maison d'édition jeunesse. J'avais vu ce qu'elle proposait sur des salons et je pensais rentrer dans la ligne éditoriale.
Je reçois une réponse négative. Après les politesses d'usage, l'éditrice me donne en une phrase unique sa raison, puis poursuit en me disant que je peux envoyer d'autres textes si j'en ai qui correspondent.
La raison était la suivante (je cite de mémoire): «Votre texte est trop métaphysique, nous cherchons des histoires plus terre à terre.»
Personnellement, si on me l'avais demandé, je n'aurais pas qualifié mon texte de métaphysique, mais de poétique. Mais cela n'a aucune importance. L'éditrice l'a ressenti comme tel, elle me le dit. Elle ne dit pas qu'il faudrait qu'il soit plus ci ou ça, qu'il y a telle ou telle erreur... c'est juste une constatation. Cela ne m'aide en rien pour corriger mon texte, par contre, je sais pourquoi elle ne le prend pas, je sais que même si je l'améliore, il sera inutile de le lui renvoyer, je sais qu'il sera inutile de lui envoyer un texte de même type. Elle me fait donc gagner du temps, de l'énergie, éviter la frustration de l'incompréhension, et se fait gagner du temps à elle aussi.
Pourquoi? Parce que, sans raison donnée, j'aurais très bien pu "améliorer" mon récit selon mes critères et le lui renvoyer parce que c'est un écrit que j'aime beaucoup; j'aurais pu l'inonder d'autres textes du même genre parce que je pensais que ça pouvait convenir et que cette petite maison d'édition me plaît.
Bref, cette simple réponse de quelques mots, pas plus longue ni plus coûteuse que la phrase-type, nous fait gagner du temps à toutes les deux.
Par contre, j'ai envoyé ce même conte à d'autres maisons d'édition qui, elles m'ont répondu par la fameuse phrase type. Et que vais-je faire une fois que j'aurai épuisé toutes les maisons qui me plaisent? Je retenterai ma chance auprès des premières, en me disant que c'est peut-être parce qu'elles en avaient trop du même genre en ce moment, pas assez de temps, des manuscrits mieux que le mien,... Cela va me prendre du temps, le coût de l'impression et de la poste, cela va leur prendre du temps aussi, parce que quelqu'un va ouvrir le paquet, y jeter un œil, se rendre compte ou pas qu'une version du même manuscrit avait déjà été lue, peut-être le relire quand même au cas où ça ait changé... En résumé, si la raison était que l'éditeur n'aimait pas ou que c'était trop métaphysique, ou trop compliqué, ou pas assez long, ou quoi que ce soit d'autre pour sa maison, nous allons perdre tous les deux notre temps. Alors qu'il aurait suffi de le dire en deux mots lors de la réponse pour éviter ça.
Voilà, voilà où je voulais en venir. Comme je le disais au début, ce n'est pas un billet d'humeur, mais une constatation, quelque chose que je trouve dommage, car plutôt simple à changer et qui pourrait être bénéfique pour tout le monde.
Mais cela reste mon avis personnel, bien entendu.